
L’on peut facilement s’accorder sur le concept selon lequel la liberté de conscience est absolu. Quoique ?
Mais qu’en est-il de la liberté d’expression ?
Mais partons donc du principe que la liberté de conscience est absolue et rappelons simplement que la liberté de conscience c’est la liberté de penser différemment de la majorité.
C’est au début du XVIe siècle qu’en Europe des voix s’élèvent pour réclamer la liberté de conscience. Les abus auxquels se livre l’Église catholique sont à l’origine d’un schisme au sein même de la chrétienté. L’émergence de la réforme protestante entraine un important bouleversement dans une Europe très catholique.
Mais alors le 2ème membre de la phrase prend tout son sens. Qu’en est-il de la liberté d’expression ?
Dans un premier temps je rappelle les textes fondamentaux régissant, voire définissant la liberté d’expression avant d’en dévoiler le périmètre et les limites définies par les textes et ce faisant répondre déjà à une partie de la question puisqu’il y a donc des limites.
Dans un deuxième temps j’observe les évolutions récentes qui ont été de nature à limiter encore cette liberté, et il y en a, puis à examiner en quoi la laïcité est, ou peut-être, affectée par ces limitations explicites ou implicites.
I- Les supports juridiques de la liberté d’expression
I-1 Les supports juridiques
-La déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 déclare en son article 11: « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme: tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi »
Observons au passage que l’article 11 contient déjà une première limite, celle de l’abus de cette liberté.
-La déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 qui après l’article 18 relatif à la liberté de conscience déclare également le droit à la liberté d’expression et celui de recevoir et répandre les informations et les idées.
-La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales en son article 10 (1950).
« Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir d’ingérence d’autorités publiques ».
Notons que cette Convention a valeur constitutionnelle et est donc supérieure dans la hiérarchie des normes juridiques.
Cet article 10 donne lieu à une abondante jurisprudence qui précise l’étendue et les limites de la liberté d’expression ainsi que son application dans les différents pays de l’UE.
-La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui est fondamentale mais qui a subi elle aussi des évolutions pour prendre en compte des effets nouveaux (apparition de nouveaux médias, publicité etc…)
-La loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association
-La loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication
Si l’ensemble de ce corpus juridique définit et ancre parfaitement la liberté d’expression dans le droit, elle en définit également les limites par la jurisprudence et notamment celle de la cour européenne des droits de l’homme.
I-2 Les limites juridiques :
Compte tenu des contraintes de l’exercice nous ne faisons ici que citer à grands traits ces limites qui sont les suivantes :
-la diffamation et l’injure ; (des institutions et/ou des personnes);
-l’offense et l’outrage ;
-atteinte à l’autorité et à l’indépendance de la justice ; Art 434-25 du Code Pénal;
-l’outrage au drapeau et à l’hymne national (hors les œuvres de l’esprit);
J’observe notamment que la plupart de ces dispositions ne sont que très peu utilisées car pouvant apparaitre comme non conformes à l’art.10.
Les limites sont donc réelles et proportionnées mais l’actualité introduit quotidiennement de nouvelles questions ainsi de l’apport des NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication) telles que les réseaux sociaux (Facebook, twitter, Instagram, snapchat etc…) endroit où les limites posées ne sont pas toujours respectées. Comment appliquer un droit interne (France et/ou UE) quand les datas sont ailleurs ?
II Quelles sont les interrogations nouvelles de nature à limiter la liberté d’expression ?
II-1 Les faits nouveaux :
II-1-1Les nouveau médias :
Le droit de savoir et le droit d’informer et d’accès à cette information est intrinsèquement lié à la liberté d’expression. Les nouveaux médias, réseaux sociaux, blogs c’est-à-dire le Web 2.0 participent à l’ensemble de ces droits. Ils sont sources de grandes opportunités en permettant notamment à une infinité de personnes de pouvoir s’exprimer plus facilement.
On ne peut oublier que la révolution tunisienne a été rendu possible grâce à Facebook. Le 17 décembre 2010, le Tunisien Sidi Bouazzi, vendeur ambulant sans permis, s’était immolé pour protester contre la saisie de sa marchandise de fruits et légumes. Cette information a circulé en premier lieu sur Facebook avant d’être reprise par France 24 et Al-Jezira. Ce fut le début des révolutions dans les pays arabes. Les premiers appels à manifester ont aussi été lancés sur Facebook
Mais les réseaux sociaux peuvent aussi générer des problèmes et des abus notamment en cas de cyber-harcèlement, cyber-haine, d’atteinte à la vie privée, de désinformation ou d’absence de protection des enfants à l’accès à certaines informations néfastes.
Il s’agit donc de ne pas les diaboliser mais plutôt d’apprendre à les utiliser de manière responsable.
On y trouve en effet autant de cachots pour les vices que de temples dédiés aux vertus.
Aujourd’hui la montée des populismes partout dans le monde interroge sur l’utilisation qu’ils feront de ces médias à la puissance multipliée par 100 par rapport à l’ancienne propagande connue anciennement. Le pilotage et/ou le piratage sous-terrain de la campagne présidentielle de Trump par les réseaux sociaux en est un exemple encore récent.
Une information fut-elle fausse et même volontairement fausse (une infox) peut devenir rapidement virale et soulever des foules.
En parallèle la lecture de textes de référence, les philosophes, les journaux papiers, semble de plus en plus en plus être le lot de citoyens avertis mais de plus en plus rares.
II-1-2 La montée du terrorisme et ses conséquences sur la liberté d’expression :
Les attentats de Charlie Hebdo et du BATACLAN ont dramatiquement montré quelles conséquences pouvaient entrainer la liberté d’expression. Et également les décisions prises pour se protéger avec les mesures relatives à l’état d’urgence.
La liberté d’expression peut être restreinte pour préserver la sécurité nationale. C’est la justification avancée par de nombreux États lorsqu’ils adoptent des lois contre le terrorisme. S’il est bien entendu fondamental de chercher à protéger la population de crimes de nature terroriste, il est tout aussi essentiel de veiller à ce que ces lois ne contiennent pas des dispositions trop larges ou floues ouvrant la porte aux abus et aux dérives.
Il est utile de rappeler à cette occasion qu’il ne faut pas « détruire la démocratie au motif de la défendre » comme l’a énoncé la Cour européenne des droits de l’homme dans l’un de ses arrêts.
Les limitations au droit à la liberté d’expression, si elles sont possibles, doivent cependant :
– être exceptionnelles,
– être prévues par la loi,
-poursuivre un but légitime,
-et être nécessaires et proportionnées au but recherché
II-2 La Laïcité[1] et liberté d’expression :
II-2-1 : Ce qu’elle est:
La laïcité n’est pas une opinion, c’est la liberté d’en avoir une.
Si la laïcité est l’expression d’une liberté elle a besoin que la liberté d’expression soit garantie
La laïcité est le garant essentiel des libertés individuelles et de l’égalité des droits. En ce sens elle défend le droit absolu à la liberté de conscience, à la liberté l’expression et au libre choix, la laïcité contribue à la construction d’un humanisme moderne qui donne à chaque femme et à chaque homme un accès égal aux connaissances et aux responsabilités ; aux mêmes Droits et aux mêmes Devoirs.
La laïcité n’est ni dogmatique ni intégriste, elle est le cadre dans lequel un individu est libre de pratiquer ou non une religion; de critiquer ou non un dogme; de croire ou non en une vérité révélée.
Ce principe, par construction et par les valeurs qu’il promeut, tend à l’universel. En corollaire, toute action, intention ou volonté d’en réduire le champ ou la portée devient une entrave à cette direction universelle.
II-2-2: Ce qu’elle subit:
Ce principe est sans cesse remis en question depuis la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat et avec force et vigueur aujourd’hui. Observons quand même d’ailleurs que le mot « laïcité » ne figure pas dans la loi.
Comme le disait BERGSON: « nous ne voyons jamais les choses mais les étiquettes collées dessus »
On sait que de nombreux débats depuis lors ont construit la définition de la laïcité. Pour autant, sachons reconnaître que si elle est tant pourfendue c’est qu’elle est mal comprise, mal enseignée en dehors des cercles qui la défendent. L’évolution de la société, la montée en puissance de l’Islam depuis 1905 en France, apporte des interrogations nouvelles.
Comment y répondre ? Car réduire le principe de Laïcité c’est réduire aussi la liberté d’expression qui nous l’avons vu n’est pas absolue et donc fragile.
Pour conclure,
Au lieu de réduire sachons élargir le champ d’action de la laïcité. Elle n’est pas seulement la séparation des Églises et des États. Elle est, au contraire, un principe universel, porteur d’avenir et d’espoir pour tous les hommes, qu’ils soient agnostiques, athées ou croyants, comme ceux qui ne se reconnaissent dans aucune de ces définitions.
Le comble serait qu’en raison de la liberté d’expression de telle ou telle communauté ou religion ce principe soit remis en cause.
Et puisqu’il faut rêver :
« toute vérité franchit trois étapes ; d’abord elle est ridiculisée ; ensuite elle subit une forte opposition, puis elle est considérée comme ayant toujours été une évidence. » Arthur SCHOPENHAUER. Souhaitons qu’il en soit de même à propos de la laïcité.
Christian BOY
Le 29 avril 2020.
[1] Parmi les ouvrages de référence citons notamment : qu’est-ce que la laïcité de Catherine Kinzler et « penser la laïcité » de Catherine Kintzler, professeure honoraire de philosophie, vice-présidente de la Société française de philosophie.
Une réflexion sur “Liberté de conscience, Liberté d’expression”